« Pierrot, l’aubergiste de Saint-Cyr, collectionne les outils de travail. Pas pour les utiliser à la sauce rustique, en changeant leur destination, pas pour bricoler un lustre avec la herse de bois, une lampe de chevet avec le fer à repasser des tailleurs de jadis, pas pour encadrer un miroir, dans le collier de la mule.
Les outils ne sont point à ses yeux un matériel de décoration mais un émouvant héritage. Il ne recueille que des objets fatigués, qui ont, pour certains, gagnés le pain de l’artisan de père en fils, en petit-fils, marteaux écrasés – tête arrondies par les coups – faux amaigries par la pierre à aiguiser, bêches sucées par la terre, haches à demi dévorées par les meules, moignons de ciseaux… Les manches portent l’empreinte royale, celle des cals ; sombres, vernis, lisses, ni gris ni noirs, durs et tièdes, ils n’ont plus de couleur, ils ne sont plus de bois, ils sont de chair.
Pierrot aligne ses outils, les époussète. Il les entretient, c’est tout. On peut les voir sans payer : ils ont assez gagné de sous en leur temps. L’hôtelier les soupèse, les caresse, les interroge. Il les écoute, reconstitue leur vie. Il lui faut souvent des années pour lier connaissance. Quand ses doigts se posent sur l’un d’eux, j’observe les yeux de mon ami. Quelque chose passe en lui de l’outil ; il a de longs tête-à-tête avec le plus quelconques des sabots. »
Jean-Pierre Chabrol, Contes d’Outre-temps, 1969
Il était le grand ordonnateur des fêtes et des événements importants qui rythmaient la vie des acteurs de cette société (baptême, noces, fêtes locales, répétitions de la fanfare…). Il leur offrait, par la présentation de son musée d’outils, le miroir de leur quotidien et de leur labeur, au moment même où ils en goûtaient la récompense. C’est ainsi que cette mémoire se transmettait aux enfants. A l’auberge La Moderne se concentrait l’âme de ce territoire ni parisien ni provincial, dont les nouveaux arrivants pouvaient s’approprier immédiatement la substance.