Expositions et ressources
Jeux et jouets
Longtemps considérés comme des articles de luxe destinés aux classes privilégiées, la production de masse des jouets a permis de baisser leur coût de fabrication, leur prix de vente et de les diffuser davantage. Le nombre de jouets s’est considérablement multiplié, passant de 5000 références en 1900 à plus de 100 000 en 1980.
Le jouet n’est plus un simple produit isolé ou dérivé, mais se situe au cœur d’un processus de création, qui fait appel à de nouveaux modes de conception, de fabrication et de diffusion. Les nouveaux jouets à succès sont ceux qui réussissent à satisfaire à la fois les producteurs (fabricants, diffuseurs, vendeurs), les parents (qui achètent), les enfants (qui choisissent et utilisent).
La production contemporaine du jouet associe la logique commerciale du fabricant, relayée par les médias et les distributeurs, et une logique culturelle plus profonde. Celle-ci est celle des adultes, par la valeur qu’ils accordent au jouet, les représentations qu’ils s’en font. C’est aussi celle des enfants qui, en utilisant les jouets, produisent de nouvelles significations, valident ou rejettent celles des fabricants ou de leurs parents, ouvrant ainsi de nouvelles voies pour d’autres jouets.
Par les médias (cinéma, télévision, Internet), l’enfant est directement informé de l’existence des nouveautés. Il est donc moins nécessaire que les jouets plaisent à l’adulte et il devient primordial qu’ils prennent en compte le système de pensée et le mode de vie de l’enfant.
Concevoir un jouet, c’est concevoir un objet avec lequel l’enfant va avoir envie de jouer. On s’intéresse alors moins aux valeurs morales des parents, à leurs goûts, qu’à la dimension ludique elle-même, qui seule séduit l’enfant, celui-ci s’affranchissant facilement au cours de son jeu des valeurs esthétiques et idéologiques portées par le jouet.
Afin de produire des jouets massivement, pour un marché mondial, il est nécessaire de dépasser la simple imitation de la vie quotidienne et du monde réel, pour l’étendre à des mondes imaginaires. Il faut également que toutes les cultures ayant accès à ce marché s’y retrouvent, ce qui favorise les concepts universels (affrontement du bien et du mal, héroïsme…).
On assiste ainsi au triomphe des comics, de l’Héroïc Fantasy, des mangas qui puisent dans les répertoires mythologiques et médiévaux.
Et si certains thèmes traditionnels tiennent leur place dans l’univers du jouet, c’est plus sous forme d’archétype que par l’imitation exacte de la vie réelle : ainsi le train ou la ferme.
Beaucoup de jouets modernes incitent à la collection, ce qui permet de vendre plus. Les poupées mannequins se multiplient de façon thématique. Certains jouets représentent une famille dotée de personnages et accessoires différents qu’il faut tous posséder si l’on veut « bien jouer » : mini legos, Beyblade… Les jeux de cartes modernes incitent à la collection.
Le jouet est promu par les médias (cinéma, télévision, Internet). Ce mode de promotion très dépendant des images sera pris en compte dès la conception du jouet. Ainsi, Bisounours donna lieu à 97 épisodes d’un dessin animé télévisé et 4 longs métrages s’adressant aux enfants d’âge préscolaire. La ligne de jouets et la série télévisée furent créées ensemble, traduisant un moment fort de l’évolution du jouet.
Dans les cas des Transformers, le jouet précède même l’émission de télévision qui en est la mise en image animée. Le jouet n’est plus la simple reproduction d’un personnage de dessin animé, il peut en être l’origine. Certains films présentent des mises en scène du jeu promu : Transformers montre les possibilités de transformation du jouet, BeyBlade montre des enfants jouant avec les toupies. Le cinéma (Star Wars, Disney) offre des logiques assez semblables. Le jouet s’insère ainsi dans un système médiatique dont il constitue un maillon.
Le plastique permet le moulage et la multiplicité des formes, une multiplicité de couleurs, la miniaturisation, l’articulation et la capacité à la transformation qui conviennent bien à ce qu’on attend d’un jouet. Il permet de représenter le monde dans sa diversité, mais aussi un monde imaginaire sans limite. Il dépasse les contraintes techniques que l’on peut trouver dans l’usage d’autres matériaux et réduit les coûts de fabrication en permettant une production en masse. Le jouet en bois devient un jouet d'exception.
Déjà utilisé au 19ème siècle sous forme de celluloïd, il se modernise à partir des années 1930 avec le polychlorure de vinyle, le polystyrène et le polyéthylène, puis avec la mise au point de nouvelles techniques de moulage : soufflage, roto-moulage, injection. Dans les années 1980, l’augmentation du prix du pétrole et donc du plastique entraînent la miniaturisation de certains jouets, comme les « action figures » type Gi Joe et Action Man.
L’insertion de l’électronique dans le jouet développe l’interactivité et donc les possibilités ludiques par le son, la lumière et le mouvement. Ces jouets animés prennent la forme de robots, de poupées qui parlent. Le jouet électronique prend son essor avec le jeu vidéo qui puise dans le registre de l’imaginaire, décliné en jeux de combat, d’aventure, de stratégie, où le joueur est impliqué dans l’histoire et peut en influencer l’évolution.
Avec le jeu informatique, c’est bien un nouvel univers de jeu qui apparaît. L’image et l’imaginaire y règnent. Il plonge le joueur dans de nouvelles expériences et une nouvelle logique. Il constitue un univers interactif et un espace d’échange social pour l’enfant et l’adolescent, qui déploient un vocabulaire et un répertoire d’images qui leur sont propres.
Depuis les années 1960/70, la licence occupe une position essentielle sur le marché du jouet. Les concepteurs comprennent que le « design » et le « marquage » des produits exercent une force symbolique sur l’esprit d’une classe d’âge qui se reconnaît à travers des jouets de marque précise. Le jouet est ainsi estampillé de marques identitaires particulières qui le singularisent et contribuent à lui donner sa valeur propre.
Entre 1977 et 1983, les films Stars Wars de George Lucas rapportent 870 millions de dollars, alors que la vente des produits dérivés génère plus de 2 milliards de dollars.
La licence permet à une firme de décliner une marque en multimédia : un personnage de BD devient jouet, dessin animé, jeu vidéo, ce qui rapporte plus d’argent mais introduit aussi une continuité sociale des personnages, présents partout dans les espaces physiques ou virtuels fréquentés par les enfants : fast-food, cour de récréation, magasin, parc de loisirs, cinéma, télévision, Internet. Les firmes de jouets ne sont plus de simples fabricants de jouets. Le chiffre d’affaires de Bandaï n’est que de 30% sur le secteur jouets : le reste est réalisé par le jeu vidéo, la création de programmes télévisés et la téléphonie mobile.
Par la télévision, le fabricant peut informer directement l’enfant de l’existence des jouets sans passer par l’adulte. L’enfant y voit des spectacles pour adultes (publicité, actualités…) qui incitent les fabricants d’un jouet imitant un outil à reproduire une marque précise.
A partir des années 1960/70, les premières émissions enfantines entraînent la création de produits dérivés. L’essor de ces émissions et des chaînes télévisées spécialisées dans l’enfance multiplie les espaces publicitaires où les fabricants vantent leurs jouets directement auprès des enfants. Les parents acceptent que, dès trois ans, leurs enfants choisissent au moins une partie de leurs jouets. La logique du jouet s’inscrit désormais davantage dans le divertissement et le plaisir, celui des enfants eux-mêmes qui, se retrouvent très tôt entre eux dans des collectivités : crèche, halte-garderie, centre de loisirs, école maternelle.
On crée des émissions particulières mettant en scène des jouets pour donner les clés de jeu aux enfants. On renforce ainsi l’identité et l’authenticité de ces jouets : ils sont vrais puisqu’on les voit en action à la télévision.
Les premiers films de Disney (Blanche Neige en 1938) et Stars Wars en 1977 entraînent la création de figurines, produits dérivés. Dans les années 1980, on commence à concevoir un jouet en même temps que le dessin animé qui en fait la promotion et l’intègre dans une histoire (Charlotte aux fraises).
Le cinéma devient ensuite support de promotion à part entière des jouets, et le phénomène aboutit à un basculement où le film devient lui-même un produit dérivé du jouet. Ainsi, les films de Disney (Le Bossu de Notre-Dame, Hercule) intègrent dans leurs scénarios des scènes où l’on voit les personnages jouer avec les produits dérivés de l’histoire.
Enfin, le jouet devient tellement producteur d’images qu’on en fait un film : c’est le cas de Toys Story dans lequel les jouets sont des vedettes.
Le jouet est fortement marqué par son statut de cadeau : 60% des jouets sont vendus pour Noël, 20% pour les anniversaires. Le cadeau doit éviter toute déception et répondre aux goûts de l’enfant. La liste de Noël apparaît dès que l’enfant est capable d’en constituer une. Pour les moins de 7 ans, le cadeau est forcément un jouet, même si livres, vêtements et friandises complètent la hotte du Père Noël.
Noël est un miracle social qui transforme l’objet industriel, support de publicité et de marketing, en don à l’apparence gratuite, qui donne du sens au plaisir de l’enfant et légitime le pouvoir qu’il a acquis sur le choix de ses jouets.
On offre à l’enfant dépendant un rêve d’indépendance à travers des jouets qui lui permettent de se projeter dans un monde où il peut quitter la sphère de l’influence parentale. C’est entre 3 et 5 ans que l’enfant reçoit le plus de jouets. A 6 ans, les dons décroissent et la chute s’accélère dans les années suivantes. La façon d’utiliser le cadeau dans la relation aux enfants varie aussi en fonction du milieu social. Les familles les moins favorisées suivent plus fortement les demandes des enfants.
Le rituel festif est un moyen de réguler la consommation de jouets, d’accepter que la logique du plaisir, le centrage sur le désir et la demande de l’enfant se fassent, mais de façon limitée dans le temps. La ritualisation du don permet à l’adulte de sauver les apparences en lui donnant un rôle central, mais aussi à l’enfant de développer des stratégies pour que le don corresponde à ce qu’il en attend.