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Un musée, un objet : La Police de Londres, manuscrit de Pierre Mac Orlan_2
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Créé le: - Mis à jour le : , par NR
- Auteur : Pierre Mac Orlan
- Date de création : entre 1920 et 1932 (environ)
- Matériau/technique : papier, (écrit)
Manuscrits à l'encre noire sur papier rose ou jaune avec ratures et corrections. - Dimensions : H. 28 cm ; l. 22 cm ; 23 pages
- N° inventaire : MDSM – 2025.12.11
Manuscrit d'un reportage sur la police de Londres. Ce reportage a été repris dans "Images sur la Tamise" (1925). Il est divisé en 4 parties :
1. La Providence des romans policiers ; Scotland Yard et Scotland House ; La Manière de Scotland Yard ; La Police londonienne ; Ce qu'il faut savoir de Scotland Yard.
2. L'autorité des agents de police ; Nuit de Londres ; Ombres au bord de la Tamise.
3. Comment juger la valeur d'une police ? ; Pittoresque de la police anglaise ; Ceux qui savent apprécier ; Le bon policeman.
Mac Orlan montre que le policier anglais est un personnage légendaire.
4. Le dernier manuscrit, Une nuit à Londres avec la police, fut écrit une quinzaine de jours après le meurtre de Louise Steel dont le corps dépecé fut retrouvé sur un terrain vague de Blackheath, le 23 janvier 1931. Mac Orlan visite avec un policier les quartiers chauds de Londres la nuit.
La police de Londres
2ème partie
L’autorité des agents de police
Familièrement un policeman s’appelle un Bobby. Autrefois, au bon temps des extraordinaires romans de Sir Anthony Troloppe, on disait : un Peeler, du nom de Robert Peel qui en 1828 fut l’organisateur du corps des policemen. On dit encore plus vulgairement : les Johnny Darbies, les frogs ou les mitney, synonymes du mot « flics ». En général tous ces surnoms ne sont pas inspirés par une pensée de haine ou de mépris. À Londres, le policeman est respecté. Et sa puissance est faite de la docilité de la rue devant le moindre de ses gestes. Il suffit qu’il apparaisse, qu’il étende le bras et qu’il prononce ces mots : « Move on ! », circulez, pour que l’attroupement se disperse. L’homme de Londres ne discute jamais avec un policeman. Il représente la force publique et la force publique c’est la force de la vieille Angleterre. Discuter avec un policeman serait mettre en doute la présence de cette force. C’est d’ailleurs une idée qui ne viendrait à personne. Quand la rue londonienne proteste contre la présence des policemen c’est qu’une émeute s’épanouit. À ce moment, ce n’est plus le policeman qui est en jeu, mais le principe social qu’il défend. Les bagarres politiques détournent de leur destination les forces de police qui les endiguent et les rompent. C’est, en somme, un malentendu. En général les émeutiers comprennent assez bien que le policeman est chargé d’assurer l’ordre dans la rue. Ils luttent contre lui, mais sans haine. C’est pourquoi les bagarres de rues ne sont jamais vraiment tragiques. Dans les rapports quotidiens, normaux, avec la foule, le policeman ne rencontre jamais de résistance. Est-il plus près de ce que l’on pourrait appeler le policier idéal ? Je ne le pense pas. Je crois seulement que la rue anglaise est moins nerveuse que la nôtre, moins individualiste aussi et qu’elle préfère remettre le soin de ses intérêts, sans discussion, à ceux dont c’est la spécialité. Cette constatation faite, je pense que depuis quelques années, la plupart des agents de la police parisienne sont plus instruits et, peut-être, plus débrouillards que leurs célèbres collègues britanniques. Leur rôle est souvent plus difficile, car la foule parisienne manque totalement de docilité.
Nuit de Londres
Une promenade nocturne d’un monsieur d’un certain âge accompagné d’un policier herculéen dans les bas quartiers d’une grande ville ne signifie pas grand-chose. Je le sais. Je me suis promené de cette manière à travers la nuit inquiétante de quelques grandes villes assez riches en histoires désagréables. Les villes les plus dangereuses du monde ne deviennent dangereuses qu’à la condition de faire intervenir une quantité de circonstances qui ne sont pas spontanées. Il est très rare qu’un promeneur paisible soit tué en se promenant à minuit dans le vieux quartier de Marseille, sur les boulevards extérieurs de Paris, dans l’Ackerstraβe à Berlin, sur le Paralelo à Barcelone ou dans Limehouse-Causeway à Londres. On peut être interpelé par un ivrogne, mais rarement par un assassin. Pour être assassiné, il faut souvent suivre certains chemins, à moins de rester chez soi. Ce qui est encore la solution la moins sûre. Le nombre de personnes assassinées chez elles est certainement plus important que le nombre de celles qui périssent de mort violente sur une voie publique, même mal famée.
Je me suis promené dans un Londres très peu connu par les londoniens, je veux parler de ce Londres qui fut autrefois dangereux et qui comprenait Wapping, Shadwell, Stepney, Poplar, etc… En général le quartier des docks à l’extrémité de Commercial Road. Shadwell High Street fut une rue célèbre où les assommoirs à matelots abondaient. Il ne reste plus de trace de ce passé qui se confond avec celui du Quai des Exécutions près de l’actuel Tunnel Pier où le Capitaine Kid fut pendu dans son bel habit brodé de pirate assez élégant.
Si l’on s’en tenait au passé, ces quartiers de Londres seraient d’une richesse d’émotions absolument incomparable. Une histoire des malfaiteurs de Shadwell et de Wapping ne manquerait ni de pittoresque, ni de larmes, ni de sang. Les existences de ces étranges bandits qui employaient mille moyens déshonnêtes pour arriver à leur fin se terminent sans originalité. Ils furent tous pendus. Certains comme MM Burke et Hare apportaient cependant une merveilleuse fantaisie dans l’exercice d’une profession pour l’ordinaire assez morne. Ils vivaient il y a près d’un siècle. Leur manière d’opérer était celle-ci :
Leur rôle sur la terre consistait à procurer des cadavres à des étudiants en médecine qui se perfectionnaient dans leur art en les disséquant. Comme les cadavres étaient moins nombreux que les demandes d’achat qui leur parvenaient, nos deux compères résolurent de créer des cadavres pour faire honneur à leur firme. Ils guettaient, la nuit venue, les matelots en état d’ivresse le long de la Wapping High Street et ils les étouffaient en leur appliquant un masque enduit de poix sur le visage. Le misérable se débattait, mais ses contorsions faisaient le jeu des sinistres drôles qui, le tenant chacun par un bras, simulaient l’attitude de deux bons camarades généreusement occupés à ramener un ivrogne vers son domicile.
Plus près de nous, Jack l’Éventreur, le fameux Jack l’inconnu, termina la série des meurtres pittoresques. Celui-là opérait à Whitechapel dans la Wordsworth Street et à Petticoat Lane. C’est dans le rayonnement de son épouvantable personnalité que la police anglaise commença à pénétrer dans le roman populaire comme un de ses éléments essentiels. Ce ne fut pas, d’ailleurs, un succès pour elle, puisqu’on ne trouva jamais cet assassin. Aujourd’hui les nuits du ghetto de Londres sont paisibles. C’est un quartier populaire rempli de braves gens. Quelques recéleurs en pierres précieuses peuvent y trouver asile. À Londres se trouvent les principaux recéleurs des grandes bandes internationales que la police de tous les pays pourchasse, souvent avec succès. Londres est une ville calme assez bien garnie de malfaiteurs calmes et corrects qui ne sortent pas la nuit pour se livrer à des violences ridicules sur des passants sans intérêt. La besogne de la police devient, pour cette raison, une besogne plus violente, mais une besogne qui demande de l’intelligence, de la ruse et de la patience.
Ombres au bord de la Tamise
_ « Voici, en quelques mots, me dit mon compagnon, l’essentiel de notre tâche. Comme j’appartiens au poste de Whitechapel dont ce quartier des docks dépend, je peux vous donner les éléments normaux de notre activité : Surveillance des escrocs, surveillance des chinois de Limehouse, à cause des stupéfiants. Ce commerce se calme. Les escrocs dont l’ingéniosité et le toupet sont indescriptibles sont les premiers sujets de nos préoccupations. J’en ai connu un que l’on pouvait surnommer le Roi des Pickpockets qui trouva le moyen de se faire inviter au bal de la police. Ici il faut bien garder ses poches. L’adresse des voleurs à la tire, les dips dépasse tout ce que l’on peut imaginer de plus subtil dans cet art. Ce matin, dans Black Lion Yard, près du coin des diamantaires, je vous ai montré un personnage frisé et joufflu qui vendait un tas de trucs « Kasher » dans une voiture à bras. Vous vous le rappelez ? Bon. Et bien ce type-là arriverait à voler une paire de lunettes sur le nez de son propriétaire sans que celui-ci s’en aperçoive. Je m’occupe également de toute une bande de gaillards qui habitent Hoxton. Ils travaillent sur les champs de courses. C’est là qu’il faut ouvrir l’œil.
_ Alors dis-je pour provoquer des confidences un peu plus colorées. Jamais un petit coup de couteau ? Pas de fusillade ? Pas de cris dans la nuit ?
Le sergent H se mit à rire. L’idée d’un coup de révolver dans une nuit de Londres semblait le combler de jubilation.
_ Non, sûr, pas de révolver, pas de couteau. Les chinois de Pennyfields sont bien tranquilles. Et Poplar est moins dangereux que le Strand pour la bourse d’un honnête homme. Seulement à Poplar, vous pourrez visiter le « pub » de Charlie Brown. C’est pittoresque !!!
Aujourd’hui Charlie Brown est mort, en laissant peut-être à la ville de Londres sa magnifique collection d’ivoires. C’était un gros et court personnage, logé à l’aise dans des pantalons qui ressemblaient à des sacs. Son visage déformé par trois bons mentons offrait cependant des traits d’une grande finesse. Il fut beaucoup question dans la littérature du bar de Charlie. Quand je l’ai connu, pour la première fois, il y a dix ans, c’était un bar fréquenté par des capitaines de navires de commerce, des noctambules et des filles. On y dansait au son d’un piano à peu près aphone. On y buvait debout. Il n’y avait pas de chaise pour s’asseoir. Ce spectacle ne manquait pas d’intérêt, mais on peut affirmer que les clients de la maison n’étaient pas de ceux qui mettent une police sur les dents.
Nous arrivâmes dans l’immense Commercial Road, déserte, inondée de lumière. La West India Docker Road surgissait d’un rêve, dans le silence éblouissant de la rue. Nous entendîmes le bruit de l’eau, presque marine de la Tamise.
_ Voici le quartier des chinois, fit mon guide.
la rue est morne, bordée de bâtisses en briques. Sur les carreaux, souvent fêlés, des portes des fenêtres, des affiches en chinois sont collées.
Des filles blanches en jupes courtes, fument au seuil des misérables cottages de cette rue silencieuse. Un doux bruit, comme d’ailes d’oiseaux, me fait tourner la tête : Des bandes de chinois, vêtus à l’européenne, la plupart coiffés d’une casquette blanche de marine, traversent la rue et disparaissent à pas feutrés.
Nous entrons dans une sorte de cabaret en ruines neuves, si l’on peut dire. Des chinois accroupis jouent sur le sol ; une fille, peut-être ivre morte, est adossée contre une armoire dont les portes sont sorties de leurs gonds.
Les chinois ne lèvent même pas la tête. Le policier se penche pour les regarder sous le nez. Les chinois impassibles baissent les yeux. La fille a l’air d’une statue de plâtre.
_ Et voilà, fit le sergent H., tout ce que vous pourrez voir dans cette nuit. Il n’y a rien, jamais rien…»
Il sortit une cigarette de son étui et la tapota d’un air songeur sur le dos de sa main.
(à suivre)
Pierre Mac Orlan